Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/219

Cette page n’a pas encore été corrigée

contraires. Et cependant elle éclata, à la fin, quand personne n’y pensait plus, par cette détonation foudroyante du Paradis perdu, qui remplissait, quelques années après la mort du poète, tous les échos de l’Angleterre ! Les poètes poussent partout, quand ils sont vigoureux, mais aucun poète sous le tournant du soleil ne l’a mieux prouvé que Milton, et on peut l’étudier comme un véritable phénomène de végétation poétique, ce chêne de rocher que rien, rien n’a pu empêcher de devenir, à l’âge où les hommes les plus forts se cassent, le rouvre du Paradis perdu.

Étudiez-le, ce phénomène, et voyez que d’obstacles s’opposèrent à son développement ! Il était né bourgeoisement, et ce n’est pas dans la bourgeoisie que les poètes doivent naître. Pas de milieu pour ces Immodérés ! (Je parle ici dans l’intérêt de leur génie.) Les poètes sont faits pour être roulés dans la pourpre de la splendeur ou dans les haillons de la misère. L’aisance même, le bien-être, les pieds chauds de la vie bourgeoise, leur sont aussi contraires que son étroitesse, et j’aimerais mieux pour ces adorés de mon cœur le soliveau de l’hirondelle !

Milton n’est qu’un bourgeois anglais, — armorié, dit M. de Guerie, mais peu m’importe !.— et son père, homme soucieux de culture intellectuelle, le fit aussi bien élever àsa façon quelepère de Montaigne éleva son fils à la sienne. L’éducation, — excellente pour les gens médiocres, mais inutile et même funeste aux hommes