Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/176

Cette page n’a pas encore été corrigée

dire du fond de ma foi religieuse outragée, une telle poésie est une monstruosité. La femme qui a écrit ces terribles choses : l’Amour et la Mort, le Positivisme, les Paroles d’un Amant, l’Homme à la Nature, la Nature à l’Homme, le Dernier Mot, le Cri, est tout à la fois un monstre et un prodige, — un prodige par le talent et un monstre par la pensée. Un monstre !… Je n’ai pas l’embarras du terme. Je n’ai pas besoin de me gêner beaucoup avec cette femme. Est-ce qu’elle s’est gênée avec Dieu ?…

Ainsi donc, ne l’oubliez pas ! un monstre et un prodige, voilà le double fulminate qui a fait sauter la femme dans madame Ackermann ; car, de la femme, chez elle, intellectuellement et moralement, il n’y en a plus. Madame Ackermann est arrivée à ce résultat ambitionné vainement par Daniel Stem, qui s’est cassée, elle, comme un éventail, avant de l’atteindre, la pauvrette ! Madame Ackermann, cette Origène femelle, est parvenue à tuer son sexe en elle et à le remplacer par quelque chose de neutre et d’horrible, mais de puissant. On ne rit plus avec celle-là ! Elle a résolu le problème de la quadrature du cercle sur ellemême, et si j’avais àla caractériser avec une formule, je me servirais de celle-ci : elle est, cette amie de Proudhon, elle est à la Poésie ce que Proudhon est à la Philosophie. C’est bien là l’expression poétique de ce matérialisme qui fait mal au cœur et qui résume la pensée philosophique de cette fin du xixe siècle. Elle