Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/138

Cette page n’a pas encore été corrigée

génie, — Auguste Barbier n’aurait, certes ! pas, sans la politique, conquis la moitié de la renommée qu’il eut immédiatement. Comme tant d’autres, il aurait été obligé d’attendre. Il aurait fait l’horrible pied de grue du talent devant l’opinion.

Mais quand le génie, cette intensité immortelle, se joint à la passion du moment, cette chose périssable mais qui est aussi une intensité, de cette rencontre, comme de deux nuages électriques, il jaillit tout à coup des tonnerres, et on sait si l’auteur des Ïambes fit le sien ! Publiée en 1830, sa première pièce fut cette fameuse Curée, qm, sans préparation, sans grondement antérieur, tomba, comme la foudre, dans la publicité, et y embrâsa tous les esprits, y alluma toutes les curiosités… Depuis, je crois, le grand Corneille, personne n’avait donné un pareil tressaillement d’admiration aux entrailles de tout un pays. Il y avait bien eu Rouget de Lisle et la Marseillaise, ce canon de quatorze armées, mais la Marseillaise n’avait été que la voix de fer et de feu du patriotisme retentissant dans des vers mal faits, dont la musique était la seule poésie. Ici, au contraire, c’était aussi du patriotisme, mais d’une inspiration plus haute, parce qu’elle était moins collective, exprimé dans des vers qui n’avaient pas besoin de musique pour paraître beaux, et comme, avant eux, la langue française n’en connaissait pas. Après ce seul morceau de la Curée, qui fît au poète