Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/13

Cette page n’a pas encore été corrigée

la pierre trop oubliée de son sépulcre, mais nous ne l’avions pas vu sorti tout entier de son tombeau. Quelques fragments de ce grand poète, qui est à la langue poétique moderne ce que Rabelais est à la langue de la prose, avaient suffi, en 1830, pour que la vie — la vraie vie — apparût dans ce qu’on croyait la mort, et pour que le génie de la poésie française, révolté enfin des compressions et des mutilations qu’il avait lâchement endurées depuis près de trois siècles, se reconnût, avec orgueil et acclamation, dans Ronsard. Un poète de ce temps — de ce temps « de cénacle », comme on disait, et d’apostolat littéraire, — écrivit alors un livre qu’on lit encore avec plaisir sur le grand poète du xvie siècle ; mais l’artiste intégral, en Ronsard, nous manquait. Nous n’avions pas une idée nette de ses proportions colossales. Or, maintenant, voici que nous l’avons… Ce fut une grande nouvelle, et, de plus, un grand bonheur littéraire. L’édition du Ronsard de Prosper Blanchemain nous le fit voir dans toute sa gloire et dans toute sa lumière.

Cette édition est le vrai Thabor de ce divin Ressuscité !

Et de ce Ressuscité terrible ! car il s’est passé d’étranges eteruelles choses à cette Résurrection de Ronsard. Le Ressuscité a eu d’implacables représailles. Il avait été mis à mort, ce grand poète, par un grammairien. Révolte democratique déjà ! La plantureuse langue poétique que parle Ronsard, avait, à son aurore, été