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le talent qu’il promettait. Il vint en effet à l’heure fatigante et embrasée des artificielles splendeurs de la poésie romantique. Nous n’en pouvions plus. Nous avions besoin d’un verre d’eau fraîche. On en avait assez, pour le moment, des flamboyants panoramas de l’Orient par M. Hugo, des riches mollesses de M. de Vigny, et de l’énergie, — à tout prix, hélas ! — de M. Barbier. Voilà que tout à coup quelque chose s’en vint de Bretagne, un chant, — simple, avant tout, agreste et triste aussi ; car la poésie moderne, même celle qui vit aux champs et qui les aime, est vouée à d’indicibles et fatales tristesses. La Sérénité, cette idéale qualité de la pensée forte, n’appartient ni aux âmes de ces temps troublés ni à leurs orageuses littératures.

C’était jeune, cette voix, c’était presque enfantin, et ce n’était pas de Musset, pourtant ; de Musset, toute la jeunesse d’alors à lui seul ; de Musset, qui régnait sur les imaginations contemporaines, dont il avait fait autant de caméléons qui lui reflétaient son génie !

Eh bien, si peu poète qu’on pût être, c’était beaucoup, à cette époque, que de n’être pas de Musset. Incertaine encore dans sa forme, souple comme certaines femmes, plus parce qu’elle était mince que parce qu’elle était nerveuse, tremblante sur son vers comme l’épi sur sa tige, la poésie de Brizeux était faible autant d’inspiration que de structure. C’était la plainte interrompue, reprise et répétée, d’un homme au premier amour de sa vie, et qui n’avait pas su se faire aimer. Byron aussi avait, un jour, et à l’âge de Brizeux, manqué de la force qui se fait aimer. Mais Byron, comme les poètes absolument grands, avait