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M. de Laprade croit sans doute, comme beaucoup de gens, que la froideur, c’est la sagesse, la force et la vertu, et elle ne l’est pas plus qu’elle n’est la poésie. Pour réchauffer cette climature, l’auteur ne s’est-il pas imaginé de faire tomber dans cette neige alpestre une goutte du sang immortel du vieux Dante ? Dans sa Rosa mystica, il a osé toucher à cette robe écarlate de Beatrix, qui doit dévorer, nouvelle tunique de Nessus, tous les poètes qui ne sont pas des Hercules. Or, M. de Laprade n’est qu’un montagnard avec son crochet, un bon guide pour une de ces poétiques ascensions qui donnent envie de redescendre, voilà tout. Il est du Forez, qui touche aux Cévennes, et c’est au Forez qu’il dédie son livre : car il aime sa patrie. Ou le voit bien à ce conseil :

Reçois-le, sans l’ouvrir, ce livre d’un songeur,

Et garde bien tes fils de notre esprit — rongeur !

La recommandation est patriotique.

Nous l’avons ouvert, nous, et nous l’avons fermé, ce livre. Mais, pour le ronger (M. de Laprade se croit toujours dans la montagne), il faudrait y revenir, et malgré notre esprit… rongeur, nous ne le rongerons pas. Pour ronger une chose, il faut l’aimer !