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aime à danser sur la corde. M. Théodore de Banville, le funambulesque, n’est qu’un saquiste parmi les poètes païens et saltimbanques ; mais M. de Laprade est le Stylite de la poésie vertueuse. Dans sa perpétuelle attitude, il ressemble en ses vers, au bout de ses vers qui s’élancent toujours, à la chèvre suspendue au cytise ou à cette cigogne qui perche, un serpent dans le bec, sur les aiguilles des minarets. Il n’y a que le cytise et le serpent qui manquent, car M. de Laprade, poète austère, manque profondément de l’agrément représenté par le cytise et de la fascination perfide, représentée par le serpent.

C’était le prince de Ligne qui disait de je ne sais plus qui : « II a beaucoup d’esprit, mais sans profondeur et sans surface ; il en a en long et il finit par une pointe comme un obélisque. » Eh bien, c’est sur cette pointe que M. Victor de Laprade reste éternellement perché. Lisez cet incroyable dernier volume, vous serez étonné de l’énergie d’une préoccupation qui se traduit toujours de la même manière, avec une effrayante énergie de monotonie. Vous ne pourrez pas certainement compter le nombre de fois qu’on y rencontre ces mots sacramentels « de sommets et de hauts lieux » qui vont devenir la caractéristique d’une telle poésie à perte de vue et de terre :

Venez (dit-il) vers ces hauts lieux mondes de lumière ?

Et il y va rester :

Apportez, comme un calice,

Pour que rien ne le ternisse,

Votre amour sur les sommets !