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rejettent, pour peindre, à la poésie, ils ne sont jamais… que des descriptifs !

Et c’est là, sans plus, ce qu’est M. le Conte de L’Isle, le poète de Midi, d’Hélios, des Éléphants et de tant d’autres pièces plus plastiques que poétiques et qu’on peut admirer dans le recueil d’aujourd’hui ; il n’y a là certainement qu’un descriptif ! Il l’est purement et simplement, mais son relief est si vigoureux et si plein qu’il a fait battre des mains à toutes les paumes épaisses de tous les matérialistes contemporains ! Quand Midi parut, cette pièce, dans laquelle le poète a sonné ses douze coups comme talent et de même que Midi, ne sonnera pas un coup de plus, on s’en allait, citant ses vers trop connus pour qu’on ait besoin de les citer tous :

Midi, roi des Étés, épandu dans la plaine,
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ;
La terre est assoupie en son rêve de feu.

L’étendue est immense et les champs n’ont point d’ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux,
La lointaine forêt dont la lisière est sombre
Dort là bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls les grands blés mûris, tels qu’une mer dorée,
Se déroulent au loin ; dédaigneux du sommeil,
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil !

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux
Une ondulation majestueuse et lente
S’éveille… et va mourir à l’horizon poudreux.