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personne, mais ce qu’il a dit ne modifiera pas l’opinion ; et comme il ne faut, dans notre heureux pays, qu’un lieu commun pour empêcher la vérité et la raison de faire leur chemin, il est bien probable qu’une telle impertinence barrera plus ou moins longtemps le passage à une œuvre digne par elle-même d’aller très-haut. Seulement, disons-le lui en finissant, il y avait une question plus importante et plus élevée que la question de la langue provençale et du succès actuel de Mirèio qui peut très-bien attendre : c’était la question des patois en poésie ou en littérature, question qui n’a jamais été posée carrément et qu’il était hardi et convenable ici de poser. Les Lettrés qui demandent des langues toutes venues et complètes, pour que le Génie puisse fructueusement cohabiter avec elles, se rendent-ils bien compte de ce qui constitue une langue et de ce qui fait un patois ? Quelle différence admettent-ils entre l’une et l’autre ?

Ruines d’idiomes ou retards de langage, est-ce que le Génie, lorsqu’il naît au sein des patois, ne les relève pas si ce sont des ruines, ne les avance pas si ce sont des retardements ? … Est-ce que partout où brille le Génie il ne se fait pas un langage avec les éléments les plus indociles et les plus ingrats ? Enfin, est-ce qu’il y a eu quelque part dans l’histoire des langues et des littératures autre chose que des patois, avant les œuvres du Génie ? Or, s’il n’y a eu que des patois, il y a donc eu aussi des poètes qui n’ont pas eu besoin d’une langue toute faite pour être poètes, — et ce ne sont pas les moins grands !