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burin. C’est un poëme d’haleine longue et de touche franche, — trop forte pour être un effort, — et qui a douze chants pleins, ni plus ni moins qu’une épopée ! C’est, en effet, une épopée, mais une épopée bucolique, dont l’amour d’une jeune fille est le sujet, et la mort de cette jeune fille le dénoûment. Matière d’élégie, et pas plus ! pour qui n’aurait à son service que des facultés de sensibilité et d’imagination ordinaires ; matière d’épopée, comme toute chose peut l’être, sous la main d’un homme de création et de fécondité !

Et j’ai dit « comme toute chose peut l’être ». Jusqu’ici on n’a pas assez su ce qui distinguait l’épopée. La Critique n’a jamais dit nettement, et assez nettement pour n’y pas revenir, ce qu’elle entend par ce majestueux mot d’épique qui renferme la suprême qualité pour le poème, l’éloge suprême pour son auteur. Les plus ingénieux et les plus profonds parmi les Maîtres ont prétendu que, pour être épique, il fallait qu’un poëme embrassât toute la civilisation d’un peuple. Explication d’archéologue.

A ce compte-là, plus la civilisation se compliquerait et tordrait sa spirale, moins on serait capable de poésie épique, ce qui mettrait, du reste, la vanité des nations hors de cause et raierait d’un trait le fameux anathème physiologique : « les modernes (et particulièrement les Français) n’ont pas la tête épique », nul poème ne pouvant désormais étreindre le détail énorme de nos colossales civilisations. Pour ma part, je décline cet argument commode aux littératures impuissantes. Indubitablement, selon moi, le caractère épique, si l’on veut bien y réfléchir, est quelque chose de plus intime qu’une question de plénitude,