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qué, des contours d’esprit trop gracieux et trop révélateurs ; il y a dans ses mouvements trop de langueur et de légèreté vive pour qu’on puisse se méprendre à ce jeu d’un déguisement impossible. Le masque même, dans Mme de Girardin, a sa pudeur et il pâlit et rougit comme n’ont pâli et n’ont jamais rougi les hommes.

En vain, pour diminuer sans doute la difficulté d’être un homme, conçut-elle son vicomte de Launay d’une délicatesse et d’une aristocratie approchant de l’aristocratie et de la délicatesse qui restent encore aux femmes de cette heure, et lui donna-t-elle ce ton comme il faut et rare que les hommes d’à-présent n’ont plus. C’est justement cela qui devait la trahir et qui l’a trahie. Une femme seule dans ce temps épais, dans cette littérature sans élégance, pouvait être le svelte vicomte de Launay. Une femme seule pouvait nous donner ces feuilletons, qui feront certainement suite, dans l’histoire de la société française, aux lettres de Mme de Sévigné, cette feuilletoniste du grand siècle de Louis XIV, et déplier au regard qui craint qu’elles ne s’envolent ces fragiles peintures d’éventail.

On aura beau, par un tour de souplesse de l’imagination, se faire spirituel, dandy, Rivarol en habit violette expirante, grand seigneur, prince de Ligne, avec ses coureurs roses et argent, devant sa voiture rose, on n’arrivera jamais, si on n’est qu’un homme, à être le vicomte de Launay d’un siècle grave, par des choses que le siècle dédaigne ou n’aime plus, avec cette supériorité ! Pour cet anachronisme charmant, pour cette résurrection de la grâce française, qui n’est pas, hélas ! immortelle, comme on le croyait, il fallait une femme qui eût l’audace d’être légère dans ce temps alourdi et qui tient à sa lourdeur comme à une conquête. Il fallait une femme qui fût peintre idolâtre de la mode et peintre moqueur de nos mœurs. Moraliste et modiste encore davantage, La Bruyère et Mlle Bertin ! C’est un caprice de toilette que j’ai vu bien souvent réussir, de mettre un diamant ou une perle dans le fond d’une rose. Pourquoi,