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régnant en vertu de son droit éternel. Ici ou là, — élevez ou abaissez les milieux, — la supériorité est toujours une exception parmi les hommes, et une exception haïe, ou enviée, ou peu écoutée. À la manière dont elle est méconnue, on la reconnaît ! Les salons, c’est la rue qui a passé par le bain, la pâte d’amande, la grammaire et les bonnes manières, mais c’est toujours la rue, au fond des esprits et des cœurs !

L’esprit peut y briller, mais il n’y commande pas, et les femmes seules peuvent prendre des amusettes pour des influences… Du temps des salons du siècle dernier, que Mme Le Normand nous cite, les salons étaient, au fond, si peu puissants qu’ils n’empêchèrent pas la Révolution de se faire contre eux et de les fermer ! Et depuis, si Mme de Staël fut exilée, elle qui compta bien moins, pour les salons, par son esprit que par ses deux cent mille livres de rente, ses relations et la position qu’avait eue son père, ce n’est pas que l’Empereur eût peur de ces salons dont on la disait la reine, mais c’est qu’il était agacé d’entendre toujours tomber de petits coups d’éventail sur son sceptre ; c’est que les lions, tout lions qu’ils soient, s’impatientent et jouent de la griffe, quand une mouche, fût-elle bleue, leur entre dans le nez !


III


Mais s’il fallait, d’ailleurs, un exemple de l’inanité de l’esprit de salon et de l’innocuité de cette catapulte, on le trouverait ici, — précisément dans ces lettres de Mme de Staël, qui la montrent aujourd’hui seulement femme du monde, et par le fait seul qu’elle n’y est que cela, l’exilant de son esprit comme elle était exilée de France, alors qu’elle vivait en Russie… Ah ! qui me l’aurait dit avant la publication de ces lettres, je ne l’aurais pas cru ! Quoi ! Mme de Staël, cette flamme de Mme de Staël, cette flamme dans l’orage perpétuel, cette