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comme cet autre talent-femme, Mme de Gasparin, égarée dans le protestantisme et digne d’être de la religion de sainte Thérèse par son amour de Jésus-Christ, Mme de Staël a senti de plus en plus monter sur les ruines d’une vie si vite écroulée, la flamme d’or du sentiment religieux ! Par là, elle diffère encore de Mme Sand que nous lui avons comparée, et qui, pour faire mieux l’homme peut-être, a éteint en elle le christianisme, renversé l’autel du mariage et de la mort, et imprimé à son talent cette horrible grimace philosophique qui le défigure et qui a fini par le rendre affreux !

Eh bien ! c’est cette Mme de Staël, restituée à la vérité de sa nature par un éditeur qui serait capable de la comprendre et de l’expliquer, que je voudrais voir revenir en pleine lumière, dans quelque splendide édition, où nous trouverions de ces lettres qui, comme plusieurs de celles de Weymar et Coppet, mais en trop petit nombre, éclairent le génie par la vie — comme les neiges tombées éclairent le ciel par en dessous ! C’est cette Mme de Staël, la vraie et non plus l’inventée, dont je ne voudrais pas seulement que les œuvres intellectuelles, mais la vie intime, les noblesses, les vertus, les dévouements et les fautes, car elle commit des fautes, sans nul doute, puisqu’elle avait les passions qui font le génie, — c’est cette Mme de Staël qu’il faudrait montrer, non plus dans les prétentions d’une vanité qu’elle n’eut jamais, mais dans sa toute-puissante faiblesse de femme, aux femmes qui se trompent si grossièrement sur leurs facultés et leur destinée ! Oui, c’est la faible qu’il faudrait montrer, la faible qui par ses prières, sauva Norvins de l’échafaud ; la faible qui, ne croyant plus à l’amour, épousa Rocca par pitié ; la faible qui, dans un temps de luttes mortelles et de partis acharnés, resta les bras étendus entre les partis, comme la Sabine du tableau de David, entre les Romains et les Sabins, et qui les a toujours gardés étendus, dans cette intervention sublime, sans qu’elle ait senti fléchir jamais, un seul moment,