Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivent, c’est comme quand elles parlent ! Elles ont la faculté inondante ; et comme l’eau, elles sont incompressibles. Quand je signalais, l’un des premiers, l’apparition, parmi nous de Mme Henry Gréville, cette Française russifiée, j’avais bien prévu qu’elle ne s’arrêterait pas et qu’elle déborderait. Mes conseils de s’arrêter à temps, de rester la femme d’un ou deux livres, et non pas de devenir le bas-bleu de toute une boutique, mes conseils furent emportés comme une digue démolie. Elle a débordé et maintenant elle fait eau partout. Il faut que ce soit une loi de la nature expansive de ces doux êtres : mais les femmes, même les plus contenues, deviennent incontinentes, dès qu’elles ont une plume à la main !

C’est que cette plume devrait rester sur leurs têtes ; et celle de Mme Claire de Chandeneux n’y est pas restée, non plus. Ses romans, à elle, ont fait moins de bruit que les romans de Mme Henry Gréville ; mais elle n’en inonde pas moins les cabinets de lecture. Elle y filtre et s’y étend, comme une eau morne — silencieusement — en attendant qu’elle y bouillonne… Le dernier roman qu’elle ait publié s’appelle : Une faiblesse de Minerve, et certes, ce n’est pas elle qui est Minerve, Mme Claire de Chandeneux ; car Minerve, c’était la Sagesse, et pour cette raison, la Mythologie ne lui a jamais fait faire d’enfants ; mais si elle n’est pas Minerve, elle est sans faiblesse. Cette prolifique, abondante et rapide, ne connaît pas une fatigue qui nous reposerait. Ses livres qui se succèdent et se poussent comme les petites vagues muettes d’une rivière, qui va se gonflant, finiront peut-être par la porter à la célébrité du feuilleton. Et pourquoi pas, du reste ? N’a-t-elle pas tout ce qu’il faut pour cela ? Mme Raoul de Navery, un bas-bleu qui se trempe dans l’eau bénite pour y perdre, en s’y lavant, son diable de bleu, mais sans y parvenir, Mme Raoul de Navery, l’homme des Jésuites, a bien fini par envahir le feuilleton catholique, à force d’écrire et de filtrer chez les