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Elle ne sait que les caresser ! La fixité, le solide établissement de l’esprit dans une idée première, l’impersonnalité, la vigueur objective, la rigueur dans la déduction, toutes ces choses de l’homme, quand l’homme a du génie, Mme de Staël ne les connaît pas ! Seulement, comme elle est très-supérieure, à sa manière, elle fait aisément illusion sur ce qu’elle n’a pas, avec ce qu’elle a. Et voilà comment on y est pris ! Or, voulez-vous compter ce qu’elle a ? Voulez-vous ouvrir l’écrin de ce génie-femme ? Et bien ! voici donc ce qu’elle a. Elle a la force irrésistible de l’émotion et de l’expression, sans laquelle il n’y a point de grands artistes. Elle a le mouvement des idées, mais à la condition, je l’ai déjà indiqué, qu’un autre qu’elle en sera le moteur. Comme l’univers a besoin de la chiquenaude de Dieu pour se mettre en branle. Mme de Staël a aussi besoin de la chiquenaude de quelqu’un. Elle a l’aperçu, l’aperçu ingénieux et profond qui tient à cette finesse dont on peut dire : Ton nom est femme ! autant que qu’on peut le dire à la fragilité ! Elle a la distinction qui touche à l’originalité comme la grâce touche à la force ! un style plein de couleur et de mélodie, et le mot, plus rare que le style, qui le diamante et le couronne, le mot qu’elle recherche et qu’elle aime, la parure de sa phrase de femme, aux mêmes contours qu’elle, mais qui n’a ni les attaches, ni les articulations, ni les manières de marcher, animalement puissantes, de la phrase des hommes de génie. Et de fait, si vous comparez à la sienne la phrase léonine de Buffon, par exemple, ou l’herculéenne de Bossuet, vous en sentirez la différence. Vous sentirez que, malgré tout, elle est du petit sexe, Mme de Staël.

Oui, elle en est, mais avec les qualités que je viens d’énumérer et qu’elle a dans une proportion et une idéalité incomparables, et comme nulle autre femme ne les eut jamais dans la langue qu’elle parla et qu’elle écrivit. Quelle femme, en effet, dans la littérature française, pourrait être mise impunément à côté de