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dans l’opinion, qui l’a sacrée la première femme de son temps, est un bas-bleu foncé, trop conglutiné dans son indigo, pour être jamais la créature, enflammée et inspirée, qu’on appelle une grande artiste. Son esprit a, pour cela, trop de côtés déplaisants, ambitieux, pédantesques. C’est une espèce de Mme de Genlis de la libre pensée. Seulement, au lieu du coqueluchon du xviiie siècle, elle a mis le bonnet rouge des tricoteuses… Mme de Genlis, tout bas-bleu qu’elle fût, échappait aux défauts de tous les bas-bleus en général, et de Mme André Léo en particulier, par sa haine du philosophisme révolutionnaire et par l’idée chrétienne qui souvent affermit son bon sens. Mais Mme André Léo qui, au contraire, a la philosophie et la révolution au plus profond de sa cervelle, Mme André Léo, cette pédante et cette endoctrinante, sans les qualités de Mme de Genlis… Vous voyez bien ce qu’il en reste !

Il en reste une Institutrice, — l’institutrice qu’on retrouve sans cesse dans Mme de Genlis. On se rappelle que Mme de Genlis l’avait été, de fonction. Mme André Léo a bien pu l’être. Je me suis laissé dire qu’avant d’être délibérément femme de lettres, elle et son mari avaient professé quelque part… Le mari est mort, la femme, — sans école, — dans ses livres, professe toujours. Elle y a suprêmement ce ton maîtresse d’école, faisant la classe à la Démocratie, cette enfant terrible qui a tant besoin de leçons ! Elle n’écrit point de traités d’éducation individuelle, comme l’auteur d’Adèle et Théodore. Ses romans, à elle, ont une prétention plus haute. Ils ont pour visée l’éducation du peuple et la correction de la bourgeoisie, — de cette bourgeoisie, haïe et méprisée, qui périt (croit-elle naïvement Mme André Léo) pour n’avoir pas donné au peuple la forte instruction qui aurait tout sauvé. Ses romans, au fond, ne sont guère que des Almanachs du Bonhomme Richard, sous forme romanesque… Mme Sand, je l’ai dit, descend de Rousseau et Mme Colet, de Diderot. (Pauvre Diderot ! d’avoir une pareille fille ;