Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On avait vu enfin que Gustave Haller était Mme Gustave Haller.

Supposez encore un petit succès du même genre et on peut parier qu’il n’y aura plus ni Monsieur ni Madame Haller, mais une Madame dont on commence à cancaner le nom dans cette loge de portier qu’on appelle Paris, quoiqu’elle soit toujours jusqu’ici Gustave Haller, en littérature. Plus tard, soyez-en sûr, on se nommera très-hardiment et très-coquettement de son vrai nom, quand la petite place dans la publicité sera faite, quand le petit pignon sur rue sera bâti. Mme Haller a devant elle un grand exemple. Ce ne fut que bien longtemps après que Mme Sand fut sûre de l’opinion publique, — de cette ânesse d’opinion publique, bâtée par elle et qui l’avait prise sur son dos, comme un homme, qu’on la vit renoncer au califourchon sur cette bête bien apprise et ne plus faire une culotte de sa jupe, pour mieux s’y tenir. Tout à coup, elle devint, un matin, de George Sand, Mme George Sand, et même parfois Mme Dudevant… Mme Gustave Haller qui dédie ses livres à George Sand, la Présidente, en son vivant, de la République féminine des lettres, et dont les moindres billets sont pour les femmes des décorations qu’elles pendent au cou des livres qu’elles écrivent, Mme Gustave Haller suivra certainement l’exemple de celle qui l’a décorée… Et de cette façon, comme tout bas-bleu, du reste, elle ne montrera pas plus d’originalité dans sa manière de faire que dans sa manière de penser.

Et cependant, ce livre du Bluet, que j’aime à rappeler et qui fut le premier livre de Mme Haller, aurait pu, sous une autre plume que cette plume d’oiselet, être une œuvre originale et virile. Ici, dans ce roman, il ne s’agit plus uniquement d’amour, la seule chose à la portée des femmes, mais d’un bien autre sentiment qui les dépasse toutes, et qui n’a pas eu son roman encore. Il s’agit du sentiment de l’amitié. Tentant peut-être pour la plume, malgré son impureté, qui a écrit Lélia, un pareil roman