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femme que la vieille femme qu’on doit adorer, eh ! bien, dans ces pages que le pédantisme peut appeler des œuvres, mais qui n’en sont pas, il n’y a que pensées de femme, sensations de femme, expérience de femme, mélancolie de femme à travers ses gaietés… de femme ! et sur toute la ligne et dans toutes ces lignes le sexe a triomphé ! Jolies têtes d’épingle noire, d’or ou d’ambre ; fines pointes d’aiguille, mailles d’un tricot perdues et rattrapées, Dieu sait avec quel mouvement languissant ou rapide, toutes ces observations sont femmes.

Ce n’est pas très-fort, mais que c’est charmant, délicat, transparent, et, si l’on veut, de transparence imperceptible ! En effet, la pensée parfois s’évapore à force de se raréfier dans tout cela, mais c’est toujours dans une pureté de ciel, c’est dans un genre de bleu que je n’ai vu que là, et ce n’est pas le bas-bleuisme !

Ainsi Mme Swetchine, si j’osais, moi, la caractériser, ne serait guère plus que le type de la femme restée femme malgré les milieux et les éducations qui auraient dû la faire grimacer. Oui, c’est le type de la femme et particulièrement de la vieille femme, mais sur un double fond idéal, rarement uni, de monde et de sainteté ! C’est la vieille femme dans sa magnifique et délicieuse acception d’autrefois, car nous n’avons plus maintenant que des femmes vieilles, qui veulent paraître jeunes toujours…

Avant d’être vieille tout à fait, elle avait pu être une femme aimable, imposante ou charmante comme beaucoup de femmes charmantes, imposantes ou aimables, mais sa supériorité n’a daté nettement que de sa vieillesse. Seulement, vieille même, et avec les acquisitions et les grâces tardives de ce nouvel état, elle ne fut pas uniquement, de par la vieillesse, cette personne et ce charme si à part que l’on appelait madame Swetchine ! Il fallut qu’il s’y ajoutât quelque chose ; et ce quelque chose ne fut pas non plus la dévotion, la dévotion ordinaire aux vieilles femmes dévotes, dont je n’ai pas, du reste, à dire du mal, car je les ai toujours aimées…