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au genre de perfection qu’elle avait une nuance très-particulière, d’un charme aux âmes, comme le lilas et le rose, composé aussi de deux couleurs, le sont aux yeux.

Elle qui désirait être une sœur converse dans le paradis, ne fut point une religieuse sur la terre, malgré toutes les vocations de son cœur. Seulement le Pape, par égard pour ses vertus et ses bonnes œuvres, lui avait conféré le privilége d’avoir le Saint Sacrement chez elle, et cette distinction fait bien symbole à tout ce qu’elle fut… En littérature, elle ne voulut jamais être une femme qui aurait pris rang, de par son esprit, parmi les esprits littéraires. Elle gardait en soi le génie qui peut produire des œuvres, comme elle gardait chez elle le Très-Saint Sacrement, et, qu’on me passe cette expression qui dit bien ma pensée, elle n’en sortait ni l’un ni l’autre, pour leur faire faire des processions.


II


Nature discrète et intérieure. Intérieure deux fois. — Intérieure vis-à-vis du monde, avec lequel c’eût été être extérieure au contraire et retentissante, si elle avait nettement rompu. Intérieure vis-à-vis de Dieu qu’elle savait porter et cacher dans son âme, au milieu de ce monde qu’elle n’a cessé de voir. Telle était cette Sophie Swetchine qui, dans la hiérarchie des Saints, embrassant comme on le sait, toutes les fonctions et tous les états de la terre, pourrait être, à ce qu’il semble, la patronne des femmes du monde, lesquelles, j’imagine, n’en ont pas eu beaucoup jusqu’ici… C’était l’amabilité, la bonté, la raison pratique, faites saintes et revêtues du calme du ciel…

Moraliste chrétienne de bonne humeur, quand les moralistes, même chrétiens, sont plus ou moins moroses, elle introduisit la gaieté dans la foi, qui ne s’y voit guère,