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cette vie qui n’avait pas besoin d’être racontée, puisqu’elle n’avait d’autre intérêt que celui de ce talent, venu tard, et qui, sous le souffle de Dieu, que Mme Swetchine a tant aimé, s’est purifié de ses prétentions de style et de pensée par lesquelles il avait commencé ! Les lettres citées par M. de Falloux l’attestent, Mme Swetchine avait bien failli être un bas-bleu ! Elle avait été élevée à cette brochette. Elle savait huit langues, c’est-à-dire qu’elle avait huit mots pour une idée, aurait dit encore Rivarol, qui n’en eût pas été si fier pour elle que M. de Falloux. Jusqu’à trente ans passés, elle eut à ses trousses trois professeurs allemands qui la bourraient de philosophie ; qui lui apprenaient, je ne sais en combien de temps, l’exercice… de l’intelligence. Ce qui la sauva de tout cela, ce fut la piété, la piété, mère surnaturelle de cette simplicité, d’ordinaire si peu naturelle dans les femmes d’amour-propre et d’esprit, quand elles sont cuites à l’infernale chaleur de serre chaude de ces horribles éducations !

Car voilà l’originalité de Mme Swetchine, le naturel par le surnaturel ! Sans le surnaturel et le catholicisme, elle n’était plus qu’un bas-bleu, de plus ou moins jolie nuance française, allemande, cosmopolite ; une imitation, taillée à facettes ! Les critiques du Correspondant, qui n’ont rien de surnaturel, eux, n’en ont-ils pas fait une Mme de Staël catholique, comme s’il était de la dignité du catholicisme, qui a ses Thérèse et ses Brigitte, d’avoir aussi sa Mme de Staël ! Rien ne se ressemble moins cependant que Mme de Staël et Mme Swetchine.

La simplicité acquise, dans un siècle d’affectation, la simplicité contractée à force de ne plus penser qu’à Dieu seul, fit éviter à Mme Swetchine d’être auteur, et cela avec le danger presque inévitable du talent, comme cette simplicité fit aussi d’elle une sainte femme, sans en faire une religieuse. Elle resta toujours dans cet entre-deux de la vie ascétique et du monde, du monde encore et de la vie de la pensée. Combinaison qui donna