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spectacle plus hideux peut-être que celui qu’elle avait devant.


IV


Ainsi, rien ! rien au point de vue des idées dans le livre de Mme de Belgiojoso ! Rien d’inattendu, de pensé, de montré à nouveau, rien qui sente l’homme ou cet être monstrueux, la philosophie, ou cet autre être déjà moins laid, mais qui n’est pas encore très-beau, la femme littéraire ! Seulement, ce que nous avons perdu, nous l’avons gagné. Il n’y a plus qu’une femme d’un ton parfait et d’une mesure presque artiste, tant elle est habile ! Rien que cela, mais n’est-ce pas un trésor ?

Et si vous mettez par-dessus tout cela ce que j’ai dit au commencement de ce chapitre, la mélancolie de la fin des choses qui teint tout de son or mourant, vous avez quelque chose de sui generis qui pourrait être bien plus intellectuel sans doute, et ce serait dommage, mais qui est cordial, car ce soleil d’Asie, tamisé par un cœur triste, cette Asie enveloppée dans le crêpe d’une âme, qui, comme l’a fait sa voyageuse, s’enveloppe aussi pour s’en aller, nous entre au plus profond du cœur. Excepté à Nazareth, la ville crypte et le berceau du Sauveur, et à Jérusalem, notre patrie à tous, nous autres chrétiens avec ou sans patrie, où la voyageuse retrouve une palpitation, mouvement d’aile d’un oiseau blessé, il n’y a pas le moindre enthousiasme dans tout le courant de ce livre. On en cherche en vain ; il n’y en a pas, mais on ne le reproche pas à l’auteur. Il semble qu’elle en devienne plus intéressante et plus chère.

On se dit que dans l’âme de cette femme qui traverse indolemment l’étincelante Asie les yeux mi-clos, les ouvrant plus grands sur sa jeune fille qui l’accompagne que sur cette magnifique nature effleurée des pieds de son cheval, l’heure de la chaleur est passée et que l’ad-