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comme Racine dans M. Vacquerie. Ce diable de M. Quinet qui se laisse aimer par sa femme avec la certitude impassible d’un vétéran de la fatuité, n’a pas la grâce des préfaces. Puisqu’il s’agissait des débuts de Mme Quinet dans la littérature et la politique, il pouvait au moins la présenter à ses amis, les républicains, et leur dire comme le grand Dauphin à ses officiers : « Mes chers amis, voici ma femme ! » Mais la bonne humeur, la bonne grâce, l’amabilité, la rondeur, ces dons charmants, ne sont bons que pour des dauphins ! Les républicains les méprisent. Les républicains sont aigus. Raides comme leur piques. Imperturbablement graves. Inexorablement solennels ! Tel M. Quinet est resté. Vertueux et farouche, il n’a pas rendu dans sa préface à la pauvre Mme Quinet ce que cette tendre femme a fait pour lui, tout le long de son livre ! Ah ! bien oui ! Il l’a oubliée comme Énée oublia sa femme Créuse dans le désastre de Troie. Mais Énée avait une excuse et M. Quinet n’en a pas. Énée avait sa femme derrière lui, mais M. Quinet l’a devant, puisqu’il s’agit d’une préface ! Et comment ? l’oublier !… Mais il la méconnaît ! Ce livre de sa femme, ce siége de Paris, ces impressions dans lesquelles l’infortunée Mme Quinet a versé toute son âme, M. Quinet les appelle malhonnêtement : Le cri des choses !.. Il n’a vu dans tout ce livre que la République — la République qui vaut mieux que tout, et qui efface tout, et les malheurs, et les ruines, et les ignominies, et les incendies, et les Communes, et l’avenir chargé qui doit les ramener, — et jusqu’à sa femme elle-même, sa touchante et incomparable femme qui serait la rosière des femmes mariées, si elles avaient des rosières, comme les jeunes filles : — Madame Quinet !!! Oh ! Madame Quinet !