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de Dieu et de l’homme en présence, sans diminution, ni retranchement de la créature par son créateur, est un mérite certain, mais relatif, tandis que faire une étude animée, haletante, d’une prodigieuse éloquence et pénétration sur l’âme humaine, est dans tous les temps, un mérite absolu. Voilà l’histoire de Mme de Gasparin. À sa manière elle a fait plus sur la question de personnalité divine que beaucoup de philosophes ; que M. Émile Saisset, par exemple. (Voir le Ier volume des Œuvres des Hommes, Philosophes et Écrivains religieux, Ire série.) Ce n’est pas tout. Une grande moraliste, une des moralistes les plus pathétiques, les plus renseignées de douleurs, est au fond de cette rêveuse chrétienne, qui en nous donnant à son tour sa poésie sur le Ciel, y mêle les réalités saignantes de la vie ; amer charme de plus !

Personne n’a mieux fait qu’elle l’histoire ironique et vraie pourtant de la consolation humaine ; personne n’a levé une empreinte plus poignante du cœur déchiré par la mort et resté seul dans la vie. Mme de Staël, dans son livre d’un sensualisme noir, intitulé de l’Influence des passions sur le bonheur, a aussi un chapitre sur la séparation par la mort, et Mme de Staël est aussi une grande âme et une enivrée de ses larmes ; mais comparez ce cruel chapitre aux pages adorables de Mme de Gasparin, et vous aurez mesuré la distance qui sépare la femme pieuse de la philosophe, même pour le bien qu’elles font à l’âme avec un livre, toutes les deux !

Tel est réellement le céleste pouvoir de l’auteur des Horizons célestes. Elle fait du bien à l’âme. Elle sait toucher aux cœurs brisés. Elle les brise même parfois, mais elle les guérit de leurs brisures en leur faisant partager ses religieuses espérances. Nous l’avons indiqué déjà. La donnée du livre de Mme de Gasparin est des plus simples. C’est avec la parole de Dieu qui a promis une récompense à ses fidèles, la nécessité d’un paradis qui soit la divinisation des affections où notre cœur se résuma pendant la vie et dont la sensibilité doit être éternelle.