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Et, s’appuyant sur l’épaule de l’enfant agenouillée, elle se jeta en bas de son lit. Paralytique dont l’âme était tout entière et qui retrouvait des organes, elle tomba à genoux près de la petite fille, et elles prièrent toutes les deux.

À ce moment-là, revenaient au lavoir la mère Ingou et la mère Mahé, accompagnées de tous les curieux de Blanchelande. Parmi ces curieux il y avait Barbe Causseron et Nônon Cocouan ; Nônon véritablement désolée. Elles trouvèrent le cadavre de Jeanne toujours couché dans les hautes herbes, mais le berger, que les deux vieilles avaient fui, avait disparu. Seulement, avant de disparaître, l’horrible pâtre avait accompli sur le cadavre un de ces actes qui, quand ils ne sont pas un devoir pieux, sont un sacrilège. Il avait coupé les cheveux de Jeanne, ces longs cheveux châtains « qui lui faisaient — disait Louis Tainnebouy — le plus reluisant chignon qui ait jamais été retroussé sur la nuque d’une femme », et, pour les couper, il avait été obligé de se servir du seul instrument qu’il eût sous la main, de cette allumelle qu’il avait, on l’a vu, trempée dans l’eau du lavoir. Aussi les cheveux de Jeanne-Madelaine avaient-ils été « sciés comme une gerbe avec une mauvaise faucille », ajoutait l’herbager, et, par places, durement arrachés. Était-ce un trophée de vengeance que cette chevelure emportée par le pâtre errant pour la montrer à sa tribu nomade, comme les Peaux-Rouges et tous les sauvages, car, à une certaine profondeur, l’unité de la race humaine se reconnaît par l’identité des coutumes ? Était-ce plutôt une convoitise d’âme