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Elle avait posé sa pelisse sur une chaise, et elle s’assit en face de son mari, qui devint soucieux. Elle n’avait pas perdu les couleurs foncées que la vue de Jéhoël avait étendues sur son visage.

« Il m’a quittée au bout de l’avenue, — ajouta-t-elle ; — je l’ai prié d’entrer chez nous, mais il m’a refusée…

— Comme moi hier, — dit Le Hardouey avec amertume. — Sans doute, il s’en allait encore chez la comtesse de Montsurvent. »

L’ironie haineuse de l’homme du peuple qui se croit dédaigné grinçait dans ce peu de paroles. Elles trouvèrent un triste écho dans le cœur de Jeanne, car elle aussi pensait au dédain du prêtre, et elle en souffrait d’autant plus qu’il lui paraissait légitime.

La haine se pressent comme l’amour. Elle est soumise aux mêmes lois mystérieuses. L’ancien Jacobin de village, l’acquéreur des biens d’Église, maître Le Hardouey, avait senti, à la première vue, que le moine dépouillé, le chef de Chouans vaincu, cet abbé de la Croix-Jugan que les événements ramenaient à Blanchelande, devait être toujours son ennemi, son ennemi implacable, et que les pacifications politiques en avaient menti dans le cœur des hommes.

Il ne disait rien, mais il coupa au chanteau un morceau de pain, qu’il tendit à sa femme avec un mouvement dont la brusquerie agitée et farouche aurait épouvanté un être plus faible et d’une imagination plus nerveuse que Jeanne de Feuardent.

Maître Thomas Le Hardouey n’aimait pas de voir sa