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t-elle, — ce serait vainement m’insulter. Ce que je viens de vous demander à l’instant même, ce que vous m’avez promis, vous permettent-ils de me mal juger ? Toutes mes coquetteries avec vous sont mortes et enterrées ; hélas ! je sens que ma dernière illusion s’en va aussi. J’avais cru pouvoir vous aimer ; je l’avais désiré, et je sens que je ne puis pas. Je vous le dis : en quoi suis-je coupable ? Ah ! je suis plus malheureuse que vous !

Écoutez-moi, — ajouta-t-elle, avec la pitié intelligente d’une femme qui sait qu’on adoucit les douleurs de l’amour le plus vrai en parlant à nos vanités immortelles, — je ne puis pas vous aimer, vous, et vous êtes cependant l’homme qui m’ait d’abord le plus attirée et qui m’ait plu davantage. Vous êtes l’esprit le plus distingué que j’aie jamais rencontré, et, sous les manières les plus séduisantes, le caractère le plus noble et le plus sûr. Vous êtes tout cela, Raimbaud, pour moi et pour les autres ; mais voici ce que vous n’êtes que pour moi. De tous les hommes que j’ai aimés, vous êtes celui qui m’a donné le plus de ces émotions auxquelles ma froideur est rebelle, et vous êtes le seul à qui j’ai fait jamais un pareil aveu. Vous êtes le seul dans le tête-à-tête de qui je ne me suis jamais ennuyée. Vous êtes le seul à qui j’ai dit : « Nos vies se sont touchées ; quoi qu’il arrive, engageons-nous tous les deux à ne les séparer jamais. »