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de vingt-six ans, d’homme d’esprit, d’homme du monde qui a beaucoup vu, beaucoup senti, et qui s’est aussi beaucoup moqué. C’était un amour qui ne jetait pas la vie hors du droit commun et qui n’en était pas moins très réel, très impérieux, et pouvait devenir très amer.

Or, un pareil amour se prenant à une femme comme la marquise de Gesvres, âme sauvée par la froideur des sens et la mobilité de l’esprit de l’éclat funeste des passions, un pareil amour avait bien des difficultés à vaincre. Sur ce point, malgré sa fatuité, M. de Maulévrier ne s’illusionnait pas. Tous les jours il faisait des découvertes dans le caractère de la marquise, et ces découvertes l’accablaient. Ce qui le soutenait, c’est qu’elle était ennuyée, et que l’ennui est peut-être chez les femmes le besoin d’avoir de l’amour. Mais cette femme ennuyée, qui n’avait pas comme lui de ces ardents désirs qu’il ne faut pas calomnier, avait comme lui l’esprit qui juge et qui trouve je ne sais quelle affection secrète dans l’expression de tous les sentiments un peu vifs. Il était donc presque impossible d’agir sur cette tête trop saine pour ne pas être rebelle à l’enthousiasme, et certainement il aurait désespéré d’un tel résultat si ce qui se brise le dernier chez un homme, la vanité, ne l’avait pas induit à persévérer.

Ce qu’il savait de la marquise fut la cause du silence qu’il continua longtemps encore de