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composait pour eux la vie, influence du monde et des habitudes sur ce que les sentiments ont de plus involontaire, et dont l’histoire d’une de leurs matinées, prise au hasard entre toutes les autres, donnerait une idée plus exacte que l’analyse la plus fidèle.

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........Un matin, le marquis de Maulévrier alla chez la marquise de Gesvres ; mais il ne la trouva pas à sa place ordinaire, dans le boudoir jonquille ; elle était sortie. Séduite par le temps qu’il faisait (on était au commencement du printemps), elle était allée s’asseoir sur un banc placé à l’extrémité d’une des allées du jardin de l’hôtel de Gesvres. Elle tenait un livre, et, dominée sans doute par les idées que lui inspirait sa lecture, elle ne sentait pas le fleuve de soleil qui tombait en nappe de lumière et de chaleur sur sa tête nue, sur ses mains divines dégantées, et sur des épaules que le soleil même était impuissant à bronzer.

— Que lisez-vous donc là ? — fit Maulévrier en s’approchant, frappé de la préoccupation de sa physionomie.

— C’est Lélia, — répondit-elle, — un livre qu’ils disent faux et qui n’est que la moitié de la vérité de ma vie. Que serait-il donc si l’autre moitié s’y trouvait !

Elle parlait avec une agitation presque fé-