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— Vous vous fatiguez et vous vous ennuyez, mon ami, — disait-elle à M. de Maulévrier, quand elle le voyait passer des heures entières près de son lit et en silence ; car il était défendu de faire trop parler cette poitrine si souvent en sang ; — voilà que toute votre vie est changée parce que je me suis imaginée d’être malade. Raimbaud, je ne veux pas de cela. Vous êtes délicat et bon pour moi ; je vous en remercie, j’en suis même heureuse au milieu de tout ce qui m’afflige et me fait mourir, mais je ne veux pas qu’où l’amour n’est plus soient les sacrifices de l’amour. On n’en doit pas tant à ceux qu’on n’aime plus. On ne doit même qu’à ceux qu’on aime, et la marquise — ne faites pas ce mouvement et écoutez-moi ! — a droit de se plaindre de l’abandon dans lequel vous la laissez. Quittez-moi donc souvent pour elle, allez la voir, et cependant — ajoutait-elle avec une expression irrésistible — revenez ici, Raimbaud, puisque la pitié vous y ramène. Je n’ai pas la force qu’il me faudrait pour me priver de ce dernier bonheur.

M. de Maulévrier n’obéissait pas toujours à Mme d’Anglure ; une affection si profonde, et en même temps si douce, lui donnait le courage de résister à la malade dévouée qui, l’amour au cœur, l’envoyait ainsi voir sa maîtresse. Cette bassesse sublime le touchait, et, parce qu’il était touché, il restait, captivé davantage. Il restait,