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aimaient à étudier la royale manière avec laquelle elle faisait les honneurs d’un salon dont elle avait diminué l’étendue, et qui ne s’ouvrait plus que pour quelques privilégiés. Ce jour-là, quels que fussent ses sentiments intérieurs, — et la pâleur profonde de son teint et une fatigue autour des yeux, qui ne lui était pas ordinaire, semblaient confirmer les idées de M. de Maulévrier, — elle se maintint au niveau d’une réputation qui ne pouvait plus grandir. Elle fut gaie, vive, agaçante autant que dans ses jours les plus splendides, et ce ne fut que plus tard et vers la fin de la soirée que, comme une guerrière lasse qui désagrafe sa chlamyde, elle apparut, sinon à tous, du moins à M. de Maulévrier, dans la vérité de son âme, masquée si souvent avec son esprit.

En acceptant l’invitation de la marquise, Mme d’Anglure avait voulu soutenir une lutte contre la terrible rivale qu’elle se supposait. Un reste d’orgueil insensé, comme en ont parfois les femmes qui furent belles et que le désespoir de n’être plus aimées pousse à tout, lui souffla qu’elle était défiée, qu’il fallait combattre de ressources, de beauté, d’artifices, dût-elle pour sa part en mourir. Elle se rejeta avec fureur à toutes les inventions d’une toilette qui devait relever sa beauté dépérie ; elle improvisa en fait de parure un véritable chant du cygne ; mais, aveuglée par l’exaspération de ses senti-