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Cela est triste à dire, mais cela est. Le mariage lui-même a toujours une certaine pruderie, un certain guindé, ce certain vertugadin de satin blanc qu’on appelle la chasteté ; et toutes ces maudites agrafes, si difficiles à faire sauter, expliquent fort bien la préférence qu’on accorde, et qu’accordait Raoul d’Anglure, à une vieille maîtresse qui suce vos cigares pour les allumer et devant qui on se permet tout sans qu’elle soit choquée de rien, sur une ravissante jeune femme épousée par inclination et digne de tout l’amour des anges, si les hommes ressemblaient à ces derniers un peu davantage.

Quoi qu’il en soit, la comtesse d’Anglure ne s’aperçut guères des négligences de son mari. Elle l’avait épousé sans l’aimer, et la vie extérieure de Paris l’empêcha de regretter la vie intime qu’elle n’avait pas. En vain lui insinuait-on quelquefois avec beaucoup d’art qu’elle ne devait pas être heureuse, elle n’avait pas l’air de comprendre. Elle restait de la plus gracieuse stupidité. Rien n’altérait le blanc plumage de cette peau de cygne que lustraient la santé et la jeunesse, et qui avait les splendeurs bleuâtres du plus pur émail. Nulles larmes ne rosaient — car elles n’eussent pas osé les rougir — ces paupières, si lentes à se mouvoir au-dessus de ces beaux orbes d’un gris si tendre qu’ils semblaient sourire en regardant. Aussi les observatrices de salon chez qui elle allait prendre le