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j’aie aimé et qui ait tari la source de mes sentiments ! Ah ! ne vous désaltérez pas avec le gravier de cette fontaine desséchée. Allan, ne me croyez pas quand j’ai dit que je vous chasserais de chez moi ! C’était une ruse. J’espérais qu’une telle menace déciderait de votre départ, mais, puisque vous êtes un homme, voulez-vous que je me mette à genoux devant vous pour vous demander de partir ?… Et, du banc sur lequel elle était assise, elle glissa à genoux devant Allan, qui se leva comme d’effroi, en la voyant ainsi abaissée. Cette admirable femme savait bien qu’il y allait de l’honneur de l’amour d’Allan de ne pas la laisser à genoux devant lui, et que, pour ce cœur de dix-sept ans, vierge d’égoïsme, dégradation s’en suivrait à l’instant même s’il hésitait.

Elle l’avait élevé. Elle savait sa noblesse !

— Je resterai là, Allan, — dit-elle, — jusqu’à ce que vous me promettiez de partir demain. Trouvez-vous que ce soit ma place de rester ainsi devant vous ?

Ah ! il promit avec désespoir, — mais il promit sans hésiter. Sa volonté murmurante fut vaincue par la sublime comédie que venait de lui jouer à froid madame de Scudemor.

Alors elle se releva, sereine comme elle avait été noble en s’agenouillant. — J’ai votre parole, maintenant, — reprit-elle, — je suis tranquille. — Et elle l’emmena dans la direction du château.

Ce qu’Allan venait de promettre faisait sur lui l’effet d’une condamnation à mort sur une âme vulgaire. Il ne pensait plus. Il n’avait que la conscience obscure d’un mal affreux. Il marchait la tête basse, en s’appuyant sur le bras de madame de Scudemor. Ils revinrent lentement et en