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« Il était dans ma destinée de ne trouver que mécomptes et impuissance au bout de toutes mes affections. Vous prévoyez déjà qu’Octave aussi, qui m’avait aimée, qu’Octave auquel j’avais attaché tant de rêves, globes d’or de la pensée d’une femme et dont incessamment elle pare le firmament de son amour, qu’Octave se détacherait un jour de moi qui devais l’aimer tant encore. Vous ne vous trompez pas, mon ami, encore cette douleur ! encore ce calice ! Il m’avait, pendant son amour, admirée autant qu’idolâtrée. J’étais sa religion, son culte, et si je ne l’eusse pas entraîné aux caresses, il ne m’aurait parlé qu’à genoux. Eh bien, voici qui ressemble à des raffinements de cruauté dans la destinée, à des bouffonneries de bourreau dans le rôle de Dieu. C’était l’amour d’Octave qui devait mourir le premier ! Enthousiasme, respect, admiration furent impuissants à le retenir dans son cœur, tandis que le mien échappait au mépris pour survivre à celui que tout aurait dû, n’est-il pas vrai ? empêcher de si tôt mourir.

« Et c’est ce qui m’empêchera de croire, maintenant, à la durée de l’affection que l’on proclame la plus éternelle. Le chagrin m’a usée jusqu’à la dernière fibre, desséchée jusqu’à la dernière goutte, et dans ce sein, où la vie se gonfle encore, je ne porte plus que le cadavre de mon cœur… Un jour de peine, sèche et brûlante (c’était un jour que je n’avais pas cessé de l’aimer), je me reposai dans la pensée du suicide. L’idée de Camille me retint. Allez, mon ami, le jour où la pensée de la mort vous arrive n’est pas le pire des jours de la vie. Tout le temps qu’il y a de l’action possible, le malheur n’a pas dit son dernier mot. On s’intéresse à soi toujours. Mais quand on ne soupçonne même plus qu’il y ait une ressource de repos et de paix dans la