Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Surtout, l’idée d’un regret me rongeait. Mais il ne vous ressemblait pas, Allan. Je n’ai jamais acquis la certitude que ce qui m’épouvantait existât. Je l’ai bien souvent étudié, avec un de ces regards qui tombent à mille brasses de profondeur dans une âme comme une sonde dans l’Océan, lorsqu’il berçait sur ses genoux ma fille, que je ne berçais plus sur les miens, et je n’ai jamais rien vu qui trahît, dans les caresses qu’il lui prodiguait, l’héroïque sacrifice que je supposais. Ceci n’aurait-il pas dû me calmer, anéantir mes inquiétudes, me rendre plus apte au bonheur que toutes ces idées m’avaient gâté ? mais mon caractère est si profond que la souffrance qui y était tombée je ne pus jamais l’en faire sortir. À cette époque de ma vie, je ne pouvais sans angoisse regarder une tête de jeune fille. Devant, je baissais plus les yeux qu’elle et ce n’était pas, comme elle, de pudeur.

« Que notre cœur est incompréhensible, Allan ! Croyez-vous que je reprochais dans ma pensée à Octave de n’être pas malheureux de ce qui me rendait malheureuse ? Je m’étonnais de sa quiétude. Elle le fit moins grand à mes yeux. Ce fut là le premier rayon qui tomba éteint de sa tête ! Le premier coup de dard de l’aspic caché dans mon cœur ! Vous, Allan, vous que je n’ai pas aimé, vous qui haïssez Camille parce qu’elle est pour vous une date affreuse dans mon histoire, vous n’auriez pas eu cette apathie. Votre amour eût été infini. Il aurait embrassé tous les temps. Mais celui d’Octave ne l’était donc pas ? Des caresses lui suffisaient, et le moment de l’ivresse l’emportait sur la réflexion. Or, toutes les passions profondes sont réfléchies ; j’avais appris cela dans la mienne pour lui…

« Plus j’allais, plus ce point de mépris, douloureux