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fut encore davantage. Le lien semblait plus fort. Il fut brisé tout de même. Croyez-moi, Allan, ce ne fut pas la certitude de mal faire, de manquer à ce que la morale des hommes a intitulé des devoirs, qui empêcha ma passion de me rendre heureuse. Ah ! il y avait en elle tout ce qu’il faut de poésie et d’entraînement sublime pour qu’une vanité ou un remords n’osât envoyer une plainte timide aux échos répétés et grossissants de la conscience ; mais la vie était attaquée dans ses sources. J’étais malheureuse, parce que j’étais adultère. Je ne l’étais pas à cause des hommes et de leur morale qui réclame, quand nous la faussons, mais simplement parce que j’étais adultère. Que voilà donc qui est profondément triste ! L’adultère déchirait de ses propres mains les entrailles de l’amour. Ah ! l’on peut rire, quand on est fort, du reproche d’avoir trahi un être qu’on avait aimé, car on n’a affaire qu’à soi au fond de son âme ; mais trahir un être qu’on aime, contradiction des contradictions ! Le trahir d’avance, se trouver avoir trahi dans le passé celui qu’on devait aimer dans l’avenir, mais ne lui donner, à cet être qui prend votre vie et votre pensée, ne lui donner que des restes d’âme et de corps, que des miettes tombées du festin mangé par un autre, c’est la pire des douleurs humaines, c’est des hontes ardentes la plus dévorante ! Vous êtes criminelle envers lui que vous adorez. Pâle victime, vous tremblez sous ses caresses parce qu’elles ne sont pas assez puissantes pour vous faire oublier que vous avez été coupable autrefois. Envisagée des bras qui vous enlacent, de cette poitrine sur laquelle vous reposez une tête qui ne peut pas plus dormir que s’enivrer, votre vie écoulée avant de le connaître apparaît incessamment pour vous désoler, pour