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blaient pas devoir exister. Je voyais donc Octave à chaque moment de la journée. Je l’envoyais chercher quand il tardait à venir, et je lui faisais d’indécents reproches avec une rougeur au front plus indécente encore. Quand il me surprenait de quelques minutes plus tôt qu’à l’ordinaire, j’étais près de me jeter à son cou ou à ses pieds de reconnaissance.

« Cet amour, qui me fit connaître des bonheurs dont je n’avais pas l’idée, me condamna aussi à des souffrances que ne payèrent point les plus enivrantes voluptés. Il empoisonna le souvenir du passé, ce fer qui reste toujours dans la blessure. Margarita, — le rêve, resté rêve ; — et, depuis elle, mes illusions gardées dans le sein qu’elles avaient agité et qui n’avaient débordé que dans les attouchements d’une valse ou d’une contredanse, autorisées par toutes les mères, et auxquels la vie qui s’annonce, en nous parlant bas, donne des significations terribles ; mon amour, trahi par Horace qui n’avait pu l’épuiser, les délices savourées de mon mariage, tout me fit horreur, tout me fit épouvante… Je regrettai de n’être pas la plus pure des femmes pour jeter la fleur de mon innocence dans le foyer de mon amour, pour la lui donner à respirer, à flétrir, à broyer sous ses pieds ! Ah ! les femmes sont adultères, — elles le sont toutes, — mais savent-elles, comme moi, ce que ce traître bonheur peut cacher ?…

« Vous le voyez, Allan, l’adultère n’était pas uniquement pour moi celui des vierges de ce monde, cet oubli un sentiment secret, cette profanation d’un mariage accompli mystérieusement dans les profondeurs de notre âme. Je vous ai dit quelles avaient été les prostitutions successives de mes sentiments. L’adultère, pour moi, ce