Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avenir. Je souffris, mais je le cachai. Je souffris, mais une autre que moi eût poursuivi de scènes éplorées l’homme qui l’aurait ainsi trahie. Moi, je me tus. Mon mari n’était qu’un libertin vulgaire, je ne lui fis pas l’honneur d’être jalouse de ses abjectes tendresses, mais je ne lui permis même plus de froisser ma robe quand nous passions par la même porte tous les deux. La douleur me trouvait toute prête contre elle, parce qu’elle ne faisait que commencer. Les nuits je payais cher le stoïcisme de mes jours. Les nuits, il me prenait des rages à me rouler nue sur les parquets… Mais le jour, j’enfermais mes convulsives souffrances dans le velours et dans les sourires, et cette pourpre m’allait si bien, et ces sourires étaient de si profondes impostures, que mon bonheur insultait les autres femmes d’une façon presque aussi sanglante que mon insolente beauté. Pitoyable chose que le bonheur, Allan, puisqu’on ne peut le distinguer d’une épouvantable singerie ! Est-ce parce que rien n’est vrai qu’on imite si parfaitement tout ? Ainsi le dépit me fit ravaler toutes mes larmes et ma vanité se bastionna dans l’orgueil.

« Un des plus effrayants caractères de la souffrance c’est d’étendre indéfiniment les horizons autour d’elle, de se faire le centre immense d’une circonférence, qui n’est nulle part et qui est partout. Vient une douleur nouvelle qui nous apprend qu’on s’est trompé, que la plaie n’était pas si large, que le mal n’était pas si grand. Désabusement cruel, ironique, implacable, — le déshonneur de nos désespoirs. Je l’ai appris plus tard… Mais, alors, je crus que mon cœur ne se relèverait pas du coup qui l’avait frappé. Je m’ensevelis au fond de moi-même… Hélas, cette force que je m’étais trouvée dans le malheur de mon