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peur de la perdre parce que nous avons besoin d’amour…

« Fût-ce cette fatigue secrète d’espérer, cette ardeur redoublée par elle-même, cette impatience d’être heureuse qui décida de mon sentiment pour Horace de Scudemor ? J’avais une telle hâte du bonheur dans l’amour, j’avais une telle avidité de croire être aimée, que je fermai les yeux afin de ne pas voir cet homme, afin de ne pas le juger comme les autres et d’être obligée de déchirer encore une fois mes illusions. Je poussai loin la stupidité. Je m’en fis un héroïsme. J’acceptai des paroles d’amour dont les désirs de mon cœur étaient peut-être toute l’éloquence ; j’eus foi en lui et je l’épousai. À qui le veut si bien, il est facile d’être trompée. Cependant je palpitais d’une telle vie, et les hommes proclamaient que j’étais si belle, qu’Horace, comme moi, pouvait se méprendre sur son amour. Quoiqu’il en dût être, je me crus heureuse à jamais. Notre lune de miel fut un soleil dévorant et Camille porte sur son front, déjà passionné, les stigmates de la fournaise dont elle est sortie.

« Mais la possession lassa mon mari, le dégoûta, et bientôt je fus une délaissée… Un amer sentiment d’humiliation s’empara de moi, mais je ne versai pas beaucoup de larmes et la colère l’emporta sur les désespoirs flasques de l’abandon. À dater de cette époque, je m’estimai au-dessus d’une âme commune. J’avais cru à l’amour d’Horace, j’avais goûté les délices du mariage dans une intimité profonde, et cet amour tarissable s’écoulait dans l’accoutumance ! et ces délices inénarrables ne devaient plus exister ! Mon imagination, beaucoup plus que mon cœur, éprouvait une de ces déceptions atroces contre lesquelles il n’y a point de remède, incurable plaie qui infectait jusqu’à