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devais entrer dans le monde. J’eus un affreux chagrin de quitter San-Lorenzo. Je pleurai moins que celle que j’aimais cependant. J’étais si sûre de ne pas être nécessaire à sa vie, qu’il se mêla aux angoisses de nos adieux quelque chose d’aridement résigné. Un sentiment comme le mien était exigeant et orgueilleux. Je souffrais de n’être qu’une camarade de pension pour celle qui était mon idole. Nous promîmes de nous écrire, et je partis.

« Ils crurent, en France, que je ne revenais si triste d’Italie que parce que j’y avais laissé des amitiés de couvent. Ma tante aussi le crut, mais bientôt elle fut détrompée. Ma tristesse lui devint inexplicable quand, à la cinquième lettre datée de Florence, elle vit que je ne répondais plus. Les lettres de Margarita étaient-elles moins elle, — moins ses regards, ses cheveux, ses épaules, moins tout ce que j’avais idolâtré ! Ces lettres m’apportaient chaque fois une déception, un désenchantement, une douleur mêlée de mépris. Du moins, quand je la voyais encore, je pouvais croire qu’elle devinait comment je l’aimais à l’éloquence de mes étreintes, à la violence de mes regards ! Puisqu’un impérieux sentiment de honte m’empêchait de lui avouer ce qui m’eût rendue plus coupable, car peut-être l’eussé-je entraînée, du moins je pouvais savourer, au nom de l’amitié comme elle la sentait, tout ce qui ne rassasiait pas la mienne… Quand j’avais le bras noué à son cou, le sein battant contre son sein immobile ; quand j’illuminais l’onduleuse courbure de son front cuivré des gerbes de flamme de ces yeux dont elle ne put jamais supporter l’éclat, elle ne me repoussait pas. Elle me parlait de choses futiles, il est vrai, d’une robe à faire ou d’une mantille à broder, ou elle s’abandonnait à des rêveries muettes, mais