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moi, les désirs étaient plus substantiels. Les troubles, je les nommais tout bas, et il fallait pour me repaître autre chose qu’une ivresse concentrée, prise à respirer les blanches fleurs de nos marronniers dont nous nous faisions des diadèmes.

« Mon enfant, il n’y a de beau dans ce monde que ce qui est pur. À l’heure que je vous parle, Allan, je n’éprouve point le sentiment d’une honte lâche à vous faire lire dans mon passé et à vous dire : Croyez-en la femme qui ne s’absout pas elle-même : la pureté est le seul beau caractère de notre nature. L’amour, cette puissance de dévouements infinis, l’amour n’est si beau que parce qu’il nous purifie. S’il y a plus saint que la vierge de quinze années, c’est la femme pour qui tout n’est plus incompréhensible ; et plus saint encore que cette dernière, c’est celle qui a tout compris et pour qui tout comprendre n’a pas été une souillure. Oh ! à quinze ans, quand on n’est qu’une faible enfant, que l’on n’a à baiser que le front de sa mère et les pieds de son crucifix d’ivoire, il n’est pas bien difficile de conserver ce précieux trésor de pureté qui, une fois perdu, ne se retrouve plus, et n’est remplacé par rien désormais ! Eh bien, cela même, Allan, je ne l’avais plus à quinze ans, et mon premier amour fut défloré, dans le fond de mon âme, par ma première amitié.

« Allan, quand on a l’âme ardente et que l’imagination est éclose, la passion vient troubler et amertumer nos sentiments les plus innocents et les plus doux. Au lieu de rêver comme elles toutes, je cherchais à vivre. Au lieu du désir d’aimer dont elles se berçaient toutes jusqu’à l’enivrement, moi je me précipitais à l’amour avec furie. Je vivais plus vite qu’elles, et je vivais davantage à la fois.

« Il y avait, parmi les plus rêveuses d’entre nous, une