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Après un instant de silence, qui lui parut plus long que l’heure qu’il avait attendue :

— Deux jours passés, depuis que je vous ai écrit, — dit-elle, — n’ont rien changé à mes résolutions. Au contraire. Ils les ont affermies. Je vous ai promis que, pour vous rendre l’éloignement moins cruel, je vous causerais une dernière peine, la peine salutaire, et que j’empoisonnerais nos adieux de mes confidences ; car, toute espérance arrachée l’âme prend son parti et se résigne ; mais quand elle en conserve encore, le mal s’éternise et les désirs sont justifiés.

— C’est inutile ! — fit-il, pour répondre, mais il se contint… Une curiosité brûlante surgit en lui. Il était las du mystère. Il voulait savoir tout, même ce qu’il redoutait le plus… Il avait soif de détails. Elle continua :

— Allan, vous allez savoir ma vie. Ce que je n’aurais jamais raconté à qui que ce soit, je vais vous le raconter, à vous, garçon de dix-sept ans. Ce que homme ni femme n’a jamais entendu, vous l’entendrez, vous. Quand cela sera fait, j’espère que vous ne m’aimerez plus. Ou, si l’impression que je vous ai causée dure encore, elle s’affaiblira de plus en plus et, dans l’absence, finira par s’effacer entièrement.

Alors, avec cette voix rauque et lassée qu’il connaissait et qui, dans le monde, ne disait que des choses très pâles, elle commença ses confidences et elle tira de sa gaine une femme que le monde ne connaissait pas :

« Je ne suis pas Italienne, — dit-elle, — mais j’ai été élevée en Italie, dans le couvent de San-Lorenzo, auprès de Florence. Une de mes tantes me donna à une de ses amies, supérieure de ce couvent. Je crois, en vérité, qu’elle était