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puissance qu’il n’avait jamais exercée, — mais, subjugué dans les derniers replis de son âme par madame de Scudemor, il avait peur que cette énergie, en laquelle il n’avait pas la sécurité absolue de la foi, fût brisée. Sentiment amer, puisqu’il comprend la crainte de la mésestime de soi-même !

Il sortit bientôt du salon et gagna l’endroit indiqué. Ce petit bois, planté sur une langue de terre opposée au marais, de l’autre côté du château, était une retraite fraîche, ombreuse et sombre, formée par de nombreux sapins, des acacias et des cyprès. Entre les pieds de ces arbres on avait semé, au hasard, une grande quantité de fleurs, et ces fleurs, intouchées du soleil, vivaient pâles et languissantes sous ces arbres ; mais on eût dit que ce qu’elles perdaient en éclat elles le regagnaient en parfums. C’était le bouquet virginal de la Nuit. Il n’y avait là pour sa chaste haleine que des bouches ineffleurées, des fronts purs et l’ignorance des sourires du ciel ; jamais la trace tiède encore d’une lèvre disparue, la lassitude d’une caresse ou les langueurs muettes d’un souvenir, mais quelquefois, dans ces seins de fleurs à demi-fermés, une goutte de la rosée du soir, conservée comme un témoignage de l’immatériel amour de la Nuit dans ce célibat du soleil… Touchant symbole de bien des destinées ! Que d’êtres conservent aussi, dans le célibat du cœur, une larme qu’ils ont recueillie, parce que jamais, hélas ! il ne leur sera donné davantage !

La nuit était sombre. Allan s’assit sur un banc, au fond de ce bois où les odeurs étaient presque humides et s’imprégnaient opiniâtrement dans les vêtements. Les syringas, aux parfums dardant dans la cervelle et voluptueux jusqu’à la douleur, s’épanouissaient autour de lui. À une lieue de