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VII

madame de scudemor à allan.

« Oui, vous avez raison, Allan, pourquoi vos larmes m’ont-elles fléchie ? Celui-là qui a fait le cœur de la femme le sait seul. À l’autre extrémité de la vie, blessée par les hommes et les choses, cicatrisée par la réflexion et le mépris, je me croyais forte à tout jamais, et des pleurs encore, des pleurs quand j’en ai vu tant verser qui n’étaient que des hypocrisies abominables, m’ont empêchée de vous éloigner de moi. Ah ! la cuirasse de la femme est toujours faussée à l’endroit du cœur. Si vous aviez été un homme, peut-être la pitié ne m’eût-elle pas saisie. Mais à votre âge, on ne trompe point. On est vrai. Être vrai, c’est presque être pur. C’est être le contraire de tout ce que j’ai vu, et, le dirai-je ? aimé aussi. Voilà probablement, Allan, pourquoi vos larmes m’ont fléchie !

« Et puis, ma pitié s’est augmentée de la superstition de la douleur. J’ai tant souffert, mon jeune ami, que la douleur m’est chose sacrée. Vous paraissiez tellement à plaindre que je n’ai pas voulu rendre votre chagrin plus cuisant encore ; misérable calcul, puisqu’en refusant de