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ne m’aviez rien promis ni rien accordé, pas même une espérance, pas même la foi à la durée du sentiment que je vous donnais !! Oh ! Madame, j’étais bien à plaindre, mais vous, vous n’étiez pas coupable ! En vous accusant, je n’aurais pas été seulement injuste, mais insensé. Seulement, je voulais que celui dont vous aviez fait peut-être quelque chose comme un Chérubin aux pieds de sa belle marraine, et avec qui vous étiez restée digne et maternelle, je voulais que vous le tirassiez de si bas dans votre pensée en le connaissant davantage, ne fût-ce, au moins, que pour le plaindre d’une autre pitié que celle dont vous vous étiez sentie émue quand il sanglotait à vos pieds !

« Que vous m’avez fait de mal, Madame ! Pourquoi ne m’avez-vous pas chassé de chez vous ? Pourquoi mes larmes vous ont-elles fléchie ? Pourquoi avez-vous craint de m’affliger ? Pourquoi avez-vous attendu que mon amour fût plus grand, plus fort, plus vivace pour m’imposer des douleurs que je ne puis plus supporter ? À présent que je vous ai dit un peu mieux comment je vous aime, quel parti prendrez-vous avec moi ?… Je ne veux pas me placer comme un obstacle entre vous et votre fille, mais je demande à ne plus être le témoin de ces tendresses auxquelles vous ne m’aviez pas accoutumé. Ah ! l’imagination est bien assez cruelle. Vous n’avez pas besoin d’ajouter à ses tourments ceux d’une réalité non plus seulement soupçonnée. Vous pouvez être charitable, généreuse, magnanime avec moi, je serais toujours assez malheureux ! »