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prononçait davantage. L’enfant ne pouvait remplacer la femme. C’était l’oiseau moqueur et non le rossignol. Je jouais encore avec Camille, mais je n’y trouvais plus le même charme. Elle venait sous les saules du bord de l’eau où je passais mes journées à penser à vous, que j’avais vue, assise ou debout, dans le salon, et à qui, ainsi posée, je rêvais des temps infinis, ne songeant à interrompre ma rêverie que pour aller vous revoir encore. Le cœur et les yeux pleins de vous, je cherchais encore vous dans Camille, — mais sa taille de guêpe, sa poitrine de jeune garçon, ses éclats de rire… Non ! ce n’était pas vous ! vous si imposante et si grave, avec ce buste fort et pliant et ces larges épaules épanouies, dans la blonde noire de l’échancrure de la robe, comme un fruit mûr dans une corbeille à jour ! Non ! ce n’était pas vous, et je le savais bien. Folie du cœur ! misérable délire ! Ce regard, cet écho du vôtre, voici que je le trouvais trop humide. Ainsi, je me séparais de tout ce que j’avais idolâtré parce que mon amour avait grandi plus vite que cette petite fille, et je la trouvais bien osée, l’impubère qu’elle était, de vous ressembler, à vous dans le sein gonflé de qui la vie battait son plein, comme la mer sur le rivage qu’elle va quitter ! Pauvre étoile dont le soleil de mes rêves noyait la lueur dans son éclat, quoique cet éclat dévorant et cette lueur timide fussent faits de la même lumière tous les deux !

« Cette souffrance d’imagination, dont Camille était la cause involontaire, durait depuis quelque temps quand, un jour où vous aviez été plus terrible que jamais pour ce cœur enivré, un jour où vous aviez effacé ces femmes jeunes que j’entends trouver belles et qui passent l’été aux