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Quant à elle, elle se répétait tout bas ce qu’elle avait dit tout haut à Allan. Sa raison hasardait bien parfois un reproche, mais elle l’atténuait en se disant que tout cela n’était qu’une folie, dangereuse certainement dans une jeune fille de l’âge d’Allan, parce que les impressions des femmes sont plus profondes que celles des hommes, mais qui passerait bientôt sans l’emploi des moyens violents.

Une folie ! mot qu’elles prononcent toutes, ces incrédules de quarante ans, mot orgueilleux, mais d’une sagesse bien vulgaire !

Quoiqu’il en fût, une terrible hypothèse tenait en échec son esprit et épouvantait sa conscience. Si l’amour d’Allan n’était pas seulement ce qu’elle croyait ?… S’il n’était pas seulement un enthousiasme éphémère, mais une de ces déchirantes passions qui devait plus tard anéantir la destinée de ce jeune homme, beau, spirituel et généreux ? À tout prix elle résolut, malgré la timidité d’Allan, de le savoir.

Depuis le jour où elle l’avait accusé de caprice, elle avait été plus caressante pour Camille, à qui elle donnait à peine un baiser au front ou un regard qui disait : « C’est bien ! » Voulait-elle empêcher la petite de s’apercevoir de la froideur de son ami ?… Si elle eût été une coquette, une de ces bourrèles de vanité qui jouissent de sentir palpiter et saigner, sous la nacre de leurs ongles, un cœur que plus tard elles doivent dévorer, on eût pensé qu’elle voulait étudier sur Allan l’effet de la tendresse inattendue qu’elle montrait à sa fille… À coup sûr, elle avait un motif pour se conduire d’une façon si nouvelle ; mais qui pouvait, excepté elle, donner la raison de ce calcul ?…