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un pli du cachemire le plus suave aux épaules qu’il doit envelopper ? Journées inexprimablement douces, bords de l’étang où les cygnes languissent, ombres des bois dans lesquels on se perd si bien, réduits obscurs où les pas ne s’entendent plus, cascades qui étouffent tout dans leurs bruits qui fuient ; et, pour peu qu’on rentre, salons où souvent on fut laissée seule et où l’on est retrouvée toujours deux, rideaux baissés d’où la rêverie tombe aux fronts comme une impalpable caresse, chaleur qui affaisse les poses et ronge l’humidité aux lèvres, familiarités enivrantes qui pressent une main dégantée, sécurité sur je ne sais quelle foi insensée, abandon, oisiveté, délices qui font comprendre la vie d’yeux à moitié ouverts et de mollesses intrépides de ces peuples qui disent : Mia cara à toutes les femmes, et rêvent d’amour au pied des volcans !

Mais quand on est, comme l’était Allan, plongé dans cette Capoue d’un bel été à la campagne alors qu’un amour profond s’est emparé de vous pour la première fois, quand celle dont on est idolâtre est là, enveloppant de son charme tous les accidents de cette vie allanguissante, le bonheur ne peut pas s’écrire, mais Dieu n’a pas voulu, sans doute, qu’il fût possible d’y résister ! Comme Allan, on sent dans son âme s’épanouir plus que jamais cette large fleur d’amour qu’y a semée, en respirant, un souffle de femme. On croit que cet air, dans lequel on plonge avec des frissons voluptueux tout son être, portera le pollen de cette fleur cachée à celle qu’on adore en silence. Tendres illusions, mysticité ravissante, confiance superstitieuse en la nature, fécondation de l’âme par l’âme, rêves fragiles du premier amour ! pourquoi est-ce de ces éléments divins que se compose le mal inconnu de la vie ?