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Ainsi l’âge de madame de Scudemor, qui mettait une vie entre elle et Allan, pouvait être une des causes de la timidité de celui-ci, mais, à coup sûr, elle n’était pas la seule. Une autre encore plus intime existait. La plupart des passions fortes tirent leur puissance des plus abrupts contrastes. Elles sont d’éclatants démentis donnés à nos habitudes les plus invétérées, à nos tendances les plus originelles. Elles brisent violemment l’unité humaine. Les caractères despotiques, par exemple, sont les plus moutons en amour. On les mène où l’on veut. Les autres ne sacrifient que leur vie, mais eux sacrifient leur volonté, magnifique abnégation si c’en était une, — si ce n’était pas la jouissance la plus enivrante qu’il y eût ! Qui n’a pas compris que Catherine II voulût être battue par son amant ? Ne prenez pas pour un caprice d’Impératrice blasée cette révoltante exigence. Vous ne sauriez donc pas ce qu’il y a de bonheur suprême, d’inattendu, de palpitant, de céleste, — car ce mot-là cache l’inconnu dévoilé tout à coup, — dans ce mouvement en sens contraire des lois qui régissent les cœurs fiers, et qui fait tomber à genoux les plus altiers et lécher les pieds d’une misérable créature !

Ce sentiment, Allan l’éprouvait. Enfant gâté, tenace, impérieux, il trouvait un plaisir d’inaccoutumance (et ces plaisirs sont les plus vifs) à se soumettre, à s’humilier, à ramper bien à plat-cœur sous le brodequin de madame de Scudemor, et ce plaisir d’être dominé par elle rendait plus troublantes encore les impressions qui s’adressaient à ses sens et les enflammait jusqu’au délire.

Cette vie de la campagne ensemble, molle, paresseuse, rapprochée, ce far niente de canapé et de gazon, de promenades oublieuses et de causerie, est la plus dangereuse