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cieuses qui nous bouleversent, et qui sont causées par leur adorable beauté.

Mais si cette beauté est déjà morte ou va mourir, attaquée au plus pur de sa source ; si — hasard étrange ! — c’est bien loin de soi qu’on va chercher une âme à aimer de toutes les aspirations de son âme ; lorsque c’est à la fleur flétrie, souillée du pied de l’homme qui passe, ensevelie dans la poussière du soir, que nous sourions du premier sourire de nos corolles entr’ouvertes, une foule de faits inaccoutumés viennent, en se groupant alentour, rendre cent fois plus ébranlant cet amour bizarre. Jeune, on ressemble tant à tout ce qui est jeune ! La jeunesse est un si large fait qu’il prend toute la place de la vie. N’est-ce pas de l’avenir que l’on porte en soi, comme la jeune fille ? N’est-ce pas la même ignorance ? N’est-ce pas en approchant de cette âme allumée plus tôt qu’on y peut lire — tout or et lumière — les caractères des premiers désirs, comme en posant un flambeau derrière les transparents de nos fêtes on fait jaillir des symboles de feu du fond sombre sur lequel ils étaient indistinctement tracés ? Quand la vie entière est avenir, c’est le passé qui est surtout l’inconnu. Une âme qui a vécu sa vie est un bien plus formidable mystère que celle qui commence la sienne, pour qui tend aussi, dans la même baie d’adolescence, sa blanche voile au vent qui s’élève. Ah ! de quelle ardente et rêveuse curiosité se prend-on pour ce vaisseau, revenu des plus lointains rivages, et qui a tant et tant labouré de flots amers ! Oh ! que cette femme, parce qu’elle diffère de nous de tout un passé impénétrable, nous apparaît divine à travers sa pâleur mortelle ! Comme la jeune fille, notre légitime épouse, elle n’a pas été tirée de nos flancs. C’est