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madame de Scudemor, c’était une timidité excessive. Plus cet amour avait grandi, moins Allan s’était trouvé familier avec celle auprès de qui son enfance s’était écoulée. Amour vraiment jeune que celui-là qui se traduit par les tremblements du respect ! Jeune dans l’âme, car la passion devient fatalement insolente ; jeune dans la vie, car, après le premier, en retrouvera-t-on jamais un second sous les draperies de la vanité ?… Cette timidité, qui n’est que l’émotion perpétuelle produite en nous par l’intuition de la beauté qui nous captive, s’augmentait encore de plusieurs circonstances accessoires qui modifiaient d’une façon nouvelle et puissante la position d’Allan de Cynthry vis-à-vis madame de Scudemor. Presque toujours on n’aime que tout près de soi dans la vie. Il est si rare de ne pas s’éprendre d’une de ces fleurs de l’existence éclose sur la même branche que nous ! L’infini des pensées virginales, colorées mollement des premières lueurs de l’amour, ce même infini soulève les deux seins qui commencèrent à respirer presque ensemble, et, parce que ces deux mains n’ont rien touché encore elles se cherchent, et parce que ces deux cœurs n’ont rien joint encore ils s’élancent, l’un à l’autre, dans l’instinct merveilleux de leurs soupirs !… L’infini des autres mystères de la vie : Dieu, l’intelligence, le cœur éprouvé, se révèlent moins intimement en nous. Atomes par la pensée comme dans l’univers, nous avons assez d’un abîme et nous nous jetons, plongeurs tremblants, dans celui où des roses, comme dans certains cratères éteints, forment des tapis pour nos sybarites mollesses. En vérité, les femmes, qui n’ont d’existence que par l’amour, ont raison d’être fières quand elle sont belles, car la honte de la nature spirituelle de l’homme est écrite dans ces impressions brûlantes et déli-